Les questions de gouvernance occupent aujourd’hui une partie des débats sur la gestion intégrée des ressources en eau (GIRE). Après avoir rappelé les principaux axes de réforme des politiques de l’eau allant dans le sens de la GIRE, cet article identifie les instruments réglementaires, économiques et participatifs qui, lorsqu’ils sont combinés, sont à l’origine d’une variété de modes de gouvernance de l’eau.

L’émergence de la problématique de la gouvernance locale des ressources en eau est intimement liée à la reconnaissance d’une crise de l’eau. Car si l’eau douce apparaît de prime abord comme relativement abondante à l’échelle mondiale, les disparités locales, sur le plan qualitatif comme quantitatif, demeurent importantes et se sont creusées ces dernières décennies sous l’effet d’une croissance démographique importante - notamment dans les pays en développement.

Ainsi, l’usage intensif des eaux de surface et des eaux souterraines, pour l’irrigation par exemple, et la détérioration de la qualité de l’eau douce causée par les pollutions de diverses origines, ont conduit les pouvoirs publics à développer toute une gamme d’instruments de régulation qui se retrouvent déclinés dans la plupart des pays aujourd’hui.

La « gestion intégrée des ressources en eau », quid ?

Les réformes engagées ont dès lors visé un objectif de gestion intégrée des ressources en eau (GIRE). Cette dernière notion est devenue une sorte de référentiel large auquel tous les pays seraient censés se soumettre afin de parvenir à une gestion durable de l’eau douce.

Les questions de gouvernance occupent une place importante dans ce référentiel et font l’objet de vifs débats à l’échelle internationale à l’occasion des Forums Mondiaux de l’eau notamment.

Pour autant, peut-on identifier une convergence dans les pratiques de gouvernance locale de l’eau à l’échelle mondiale ? Que recouvre précisément la notion de gestion intégrée des ressources en eau ? Quelles sont les transformations institutionnelles remarquables qui attesteraient d’un changement de paradigme dans la gouvernance de l’eau douce ?

La définition la plus connue de la GIRE a été donnée par le Global Water Partnership (GWP) en 2000 : « La gestion intégrée des ressources en eau est un processus qui favorise le développement et la gestion coordonnés de l’eau, des terres et des ressources connexes, en vue de maximiser, de manière équitable, le bien-être économique et social en résultant, sans pour autant compromettre la pérennité d’écosystèmes vitaux »(1) . Mais compte-tenu du caractère extrêmement large de cette définition, il s’avère nécessaire de préciser les principes sur lesquels s’appuie la GIRE pour donner un contenu plus opérationnel à cette notion. En effet, le discours sur la GIRE s’appuie sur un certain nombre de principes qui sont aujourd’hui reconnus à l’échelle internationale comme devant guider les choix en matière de politique de l’eau.

L’eau, bien économique soumis à de nouveaux principes de gouvernance

La reconnaissance de l’eau comme bien économique fait incontestablement partie de cet ensemble de principes.

Promue depuis la conférence de Dublin (1992), l’idée de considérer l’eau comme un bien économique a tout à la fois été poussée par les institutions internationales comme la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International qui ont fait du secteur de l’eau et de l’assainissement un objet de bataille emblématique pour la libéralisation des services publics et en même temps, l’idée a été tirée par les acteurs en charge du développement des infrastructures qui y ont vu un moyen d’attirer les capitaux nécessaires à la réalisation de ces grands projets.

La transposition de cette idée dans le cadre législatif national se retrouve dans plusieurs lois orientant les politiques de l’eau à travers le principe de « recouvrement complet des coûts » (Full Cost Recovery). L’inscription de ce principe dans la Directive Cadre européenne sur l’Eau (DCE) adoptée en 2000 et sa transposition dans les pays membres de l’Union Européenne est un exemple souvent mentionné. Mais ce principe se retrouve également inscrit dans nombre de lois adoptées ces dernières années dans les pays en développement.

Cette vision s’accompagne de tout un discours de la part du GWP sur la sécurité de l’approvisionnement en eau. Le mobile sécuritaire justifierait ainsi que le financement des infrastructures de production d’eau potable et d’assainissement soit démultiplié, grâce aux fonds du secteur privé. La généralisation d’une fourniture d’eau potable par le secteur privé apparaît dès lors comme l’unique solution aux yeux des défenseurs de ce principe.

Mais le référentiel de la GIRE repose également sur un certain nombre d’autres principes qui ont acquis, au fil du temps, une très forte légitimité. La généralisation d’une gestion territoriale et participative de l’eau par bassins versants est notamment à mentionner.

Ce modèle de gestion de l’eau a trouvé en Europe une illustration à travers la DCE. Mais c’est aussi sous la pression des organisations non gouvernementales œuvrant à l’échelle mondiale que ce principe a pu s’ancrer de manière durable.

Les conflits engendrés par les grands projets de barrages à travers le monde ont ainsi contribué à la remise en cause du principe de souveraineté nationale sur les ressources naturelles. Les arguments avancés par les activistes qui combattent ces grands projets de barrages s’appuient sur des travaux scientifiques qui démontrent les ravages de ces grands projets pour les écosystèmes, mais aussi pour les populations humaines déplacées. La dimension participative épouse également le discours des grands bailleurs de fonds comme la Banque Mondiale qui recommande activement la mise en place de processus de décision plus décentralisés, notamment dans le domaine de la gestion de l’eau douce.

Quels modes de gouvernance ?

Ces quelques éléments nous permettent d’identifier trois catégories d’instruments régulièrement mobilisés par les acteurs en charge de la politique de l’eau et qui dessinent plusieurs modes de gouvernance possible de l’eau douce.

En premier lieu, les pouvoirs publics recourent de manière traditionnelle aux instruments réglementaires. Ces instruments recouvrent toute la gamme des autorisations (autorisations de forages délivrés par les préfectures par exemple avec des niveaux de débits associés), interdictions (interdiction d’irriguer certains jours de la semaine, interdiction de laver son véhicule durant les périodes de sécheresse), mise en place de quotas volumétriques, périmètres de protection des captages d’eau potable, normes de qualités (comme la norme européenne sur les nitrates pour l’eau douce destinée à la consommation humaine).

En second lieu, des instruments économiques se développent à l’échelle internationale depuis les années 1960. Ces instruments ont pour objectif de jouer sur le coût de l’eau pour servir de mécanisme incitatif permettant de limiter la consommation d’eau ou la pollution. Les taxes et les redevances jouent ce rôle par exemple. Les marchés de droits d’eau figurent aussi parmi les instruments économiques qui se développent de manière importante à l’échelle internationale depuis les années 1990.

En dernier lieu, signalons l’essor des instruments participatifs, fondés sur la participation de l’ensemble des parties-prenantes aux processus de décision. Le degré d’implication des acteurs est cependant très variable d’un lieu à un autre et si les principes de concertation et de participation apparaissent souvent comme les fondements des réformes des politiques de l’eau ces dernières années, la mise en œuvre de ces principes bute sur des problèmes de répartition du pouvoir.

Néanmoins, si ces trois groupes d’instruments se retrouvent dans la plupart des pays, la manière dont ils sont combinés les uns aux autres et le poids relatif des dimensions réglementaire (régulation publique), économique (rôle du secteur privé, régulation “marchande”) et participative (usagers, société civile, régulation de type “communautaire”) diffère fortement d’un pays à un autre.

Ainsi, il nous paraît plus judicieux de considérer la gouvernance de l’eau douce comme résultant d’un “compromis entre les acteurs et les instruments de régulation publique, marchande et communautaire”(2) . La manière dont ces compromis sont négociés à l’échelle nationale mais surtout à l’échelle locale, donne ainsi une très grande variété de modes de gouvernance de l’eau douce.